- AMBIVALENCE (psychanalyse)
- AMBIVALENCE (psychanalyse)AMBIVALENCE, psychanalyseC’est le psychiatre suisse Eugen Bleuler (1857-1939) qui a introduit ce terme et en a fait le symptôme dominant dans le tableau de la schizophrénie. Il distingue tout d’abord l’ambivalence dans trois secteurs de la vie psychique: dans les modalités de la volonté, deux volontés qui s’opposent; dans la sphère intellectuelle, affirmation d’une thèse et de son contraire dans un même discours; dans la sphère affective, aimer et haïr simultanément la même personne. Un peu plus tard, cette distinction s’efface pour ne garder que la manifestation dans ce troisième cas, sphère affective de la vie psychique. Par conséquent, l’ambivalence désigne la coexistence d’attitudes affectives opposées vis-à-vis d’un objet, et le plus souvent la coexistence de l’amour et de la haine pour une même personne.À la suite de Bleuler, Freud fait usage de ce terme. Il caractérise en particulier la névrose obsessionnelle par l’intensité de l’ambivalence qu’il rattache à une période précise de l’évolution libidinale, celle de la phase sadique-anale. En effet, la pensée freudienne est marquée par l’idée d’une continuité entre le normal et le pathologique. Aussi la psychanalyse rompt-elle avec la nosographie psychiatrique: devant tout phénomène morbide, le psychanalyste tente de repérer les avatars du développement libidinal du sujet à travers son histoire. Qu’en est-il donc de l’ambivalence au cours du développement et quels en sont l’origine et le destin?C’est au stade sadique-anal qu’apparaît, selon Freud, l’ambivalence qui se caractérise par la présence de pulsions antagonistes d’égale force, qui sont constitutives de la polarité actif-passif (à la différence des pulsions génitales qui sont postérieures et qui s’inscrivent dans la polarité masculin-féminin). Deux pulsions sexuelles sont principalement reconnues comme ambivalentes. En premier lieu, le sadisme/le masochisme (le masochisme étant l’envers du sadisme, en tant qu’il correspond à un retournement de l’agression contre la personne elle-même et à un renversement de l’activité en passivité). En second lieu, le plaisir de regarder/le plaisir de montrer. Au stade sadique-anal, par exemple, l’enfant tente de manipuler ses objets (et d’abord ses objets d’amour). Ce comportement résulte de la pulsion d’emprise qui est une modalité plus socialisée du sadisme. Dans Pulsions et destins des pulsions (1905), Freud intègre à ces deux polarités pulsionnelles le couple amour-haine. Il ne peut cependant le placer au rang de motions pulsionnelles (qui se traduisent — du moins en principe — par des comportements observables) qu’en distinguant trois sphères qui régissent la vie psychique: la sphère biologique à laquelle s’applique la polarité activité-passivité (aimer-être aimé), la sphère réelle qui se matérialise par l’opposition «moi-monde extérieur» (narcissisme-amour objectal) et, enfin, la sphère économique qui se traduit par la polarité plaisir-déplaisir. C’est dans les deux dernières sphères que la haine est véritablement opposée à l’amour. En effet, pour Freud, les débuts de la vie de l’être humain se déroulent dans un narcissisme complet. Le monde néonatal est à l’image d’un état nirvanique du fait de l’indifférenciation entre le moi et le monde extérieur. Aussi, tout ce qui est extérieur se découvre dans la haine en tant que source de déplaisir. La haine considérée comme relation d’objet est donc plus ancienne que l’amour. Pour Freud, l’objet naît donc dans la haine. Au stade sadique-anal, l’organisation libidinale étayée sur la fonction physiologique vitale de défécation est le prototype du couple activité-passivité: expulser-retenir; ainsi conserver ou offrir ses fèces esquisse la première forme de relation d’objet.Melanie Klein, à la suite de Freud, approfondit la compréhension des premières relations d’objet et par conséquent des manifestations primitives de l’ambivalence désignée explicitement par le couple amour-haine. Elle réfute l’hypothèse freudienne selon laquelle le monde du nourrisson est anobjectal; pour elle, dès le début de la vie, la libido se dirige vers l’extérieur et fait retour à l’intérieur. Ces mouvements de projection et d’introjection permettent de supposer l’existence de relations objectales, appelées «préobjectales», puisqu’il n’y a pas reconnaissance de l’objet comme totalité différenciée. La première relation d’objet partiel (l’objet est le sein) est empreinte d’ambivalence dans la mesure où cet objet est apaisant ou frustrant. Le mécanisme de défense prévalant à ce stade oral est la scission entre le bon sein et le mauvais sein, le premier étant introjecté, le second projeté. Toutes les pathologies profondes des psychoses sont liées à cette ambivalence originaire et se traduisent par l’usage excessif de mécanismes de défenses archaïques comme la scission. Melanie Klein rapporte cette ambivalence au travail de l’instinct de mort agissant dès la naissance, la haine n’étant que l’aspect émotionnel de cette pulsion de destruction.Elle emprunte là le dualisme de la dernière théorie des pulsions élaborée par Freud en 1920, celle de pulsions de vie/pulsions de mort. Il propose cette théorie parce que le fait clinique que constitue le masochisme contredit la thèse du principe de plaisir gouvernant l’activité psychique. Dans cette nouvelle conception, il considère que lorsque l’évolution libidinale est harmonieuse, l’agressivité est au service de la pulsion sexuelle. Éros unit, Thanatos sépare; l’ambivalence peut donc se définir comme une union qui n’est pas accomplie, les pulsions sexuelles et les pulsions agressives agissant séparément chacune pour leur compte. Ainsi la névrose obsessionnelle est un exemple de désintrication des pulsions. Comme toute névrose, elle est une défense contre les revendications pulsionnelles du complexe d’Œdipe. La lutte défensive qui s’engage conduit à la régression au stade sadique-anal par suite de la désintrication des pulsions. Les impulsions amoureuses se transposent en pulsions d’agression contre l’objet d’amour, pulsions qui sont alors inhibées dans leur expression, ce qui peut conduire à une véritable paralysie du moi.L’ambivalence, conflit essentiel de la nature humaine, a été l’objet de constructions théoriques distinctes, toutes cherchant à mieux rendre compte de la réalité clinique. Le recours aux instincts de vie et de mort, et donc à une opposition transcendantale, semble en fait la seule voie à même d’expliquer des pathologies comme le masochisme et la névrose obsessionnelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.